Un tournant dans le conflit Ethiopie-Tigré
Le 28 juin 2021, après 8 mois de violents combats, les forces nationales éthiopiennes ont quitté la capitale de la région du Tigré au nord du pays suite à une décision gouvernementale. Actuellement sous le contrôle des rebelles, la ville de Mekele a vu ces derniers longuement célébrer une victoire symbole du renversement du rapport de force qui s’est opéré au cours de la guerre. Le 6 juillet, le chef de la rébellion a appelé à des négations visant à l’instauration d’un cessez-le-feu et à la recherche de solutions au conflit.
Plusieurs évènements sanglants ont rythmé l’actualité de la Corne de l’Afrique ces 12 derniers mois, tous dans le cadre du conflit armé opposant les forces nationales éthiopiennes et des troupes érythréennes au FLPT (Front de Libération du Peuple du Tigré).
Le Tigré est l’une des 11 provinces de l’État fédéral d’Ethiopie, toutes délimitées selon des critères ethniques par la Constitution de 1994. Il se situe au nord du pays, à la frontière avec l’Erythrée, ce qui explique au vu de la guerre de 1998-2000 l’importante concentration en armement et en soldats (plus de 50% des forces du pays selon l’International Crisis Group) qui s’y trouve.
Les relations entre le gouvernement fédéral et le gouvernement régional tigréen ont commencé à se tendre dès 2018. Le premier ministre Abiy Ahmed tentait alors de réformer le FDRPE (Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien), la coalition à la tête du pays depuis 1991. Dans celle-ci, les tigréens, bien que minoritaires (6% de la population), avaient un poids politique immense, et ce notamment sous le premier ministre Meles Zenawi entre 1995 et 2012. Par peur de voir son influence diminuer, le FLPT refuse donc de rejoindre le nouveau Parti de la Prospérité, une fusion des différents partis de l’ancienne coalition, et se place dans l’opposition.
Débutés en novembre 2020 par une offensive tigréenne suite au report des élections législatives, les combats ont d’abord vu nombre de victoires des troupes du gouvernement fédéral éthiopien. Ce dernier a repris par la force le contrôle des villes et des territoires du Nord du pays alors tombés aux mains des rebelles. La capitale de la région, Mekele, est rapidement capturée le 29 novembre avant que les affrontements ne s’enlisent en début d’année.
Privé de villes où se rassembler et où établir des bases opérationnelles voire des postes de commandement, le FLPT lance néanmoins une importante contre-offensive le 18 avril. L’opération ne tarde pas à infliger de lourdes pertes humaines et matérielles au camp éthiopien et à son allié érythréen (les rebelles parlent de dizaines de milliers de soldats neutralisés sans que ces chiffres ne puissent être vérifiés), notamment durant le mois de juin particulièrement violent. Elle se solde finalement par la prise sans heurts d’une Mekele désertée par l’armée nationale.
Cette victoire cristallise un nouveau tournant dans cette guerre, à la fois stratégique mais également politique et idéologique, sans toutefois laisser présager une quelconque fin des hostilités. Les troupes du Tigré, qui ont pourtant passé une longue période sans chef-lieu urbain, sont parvenues à reprendre la capitale de leur région, donnant ainsi un aspect plausible au séparatisme prôné par le FLPT. Le défilé de milliers de prisonniers éthiopiens le 2 juillet dans la ville nouvellement acquise ne fait qu’étayer ces revendications indépendantistes. Il vise en effet à affirmer la puissance du parti sur un territoire dont il se considère comme le seul gouvernement légitime par la démonstration de sa capacité à le défendre.
Les principaux chefs des belligérants se sont rapidement exprimés sur la situation.
Le premier ministre de l’Ethiopie Abiy Ahmed a lui-même commenté le retrait des forces du gouvernement fédéral. Il l’a d’abord qualifié de repli tactique décidé car la ville aurait perdu de son intérêt stratégique avant de déclarer que la principale motivation était de mettre fin aux pertes humaines. L’homme politique affirme ainsi lui-même le revers qu’a essuyé son camp.
Du côté adverse, Tsadkan Gebretensae, le chef des rebelles, a appelé le 6 juillet à la négociation d’un cessez-le-feu et à des pourparlers dans le but d’apporter une solution politique viable au conflit. Alors que toutes les propositions diplomatiques avaient été jusque-là des initiatives du gouvernement fédéral, le FLPT semble ici vouloir diriger le processus de paix. Il s’agit probablement d’une volonté d’exploiter au maximum le succès stratégique et idéologique qu’est la prise de Mekele pour mieux faire entendre les revendications rebelles à la table des négociations.
Pour l’instant, les experts, dont ceux de l’International Crisis Group, ne peuvent prévoir l’issue du conflit mais tous craignent un enlisement des combats qui pourrait aggraver la crise humanitaire qui a déjà débuté dans la région.
- HAMDANE Rayane, T1, rédacteur.