La nostalgie d'un empire
Couronnement de la reine Élisabeth II à l’abbaye de Westminster, 50 facts about The Queen’s Coronation, royal.uk.
N’y eut-il pas, dans les hautes sphères de la seconde moitié du XXe siècle — et de ce premier quart du XXIe —, aussi belle pierre angulaire pour bâtir l’Église des Windsor qu’Élisabeth II ? Ce qui compta toujours, ce n’est pas qui elle fut mais qui nous la crûmes être. Ainsi, pour citer Antoine Perraud, « la reine Élisabeth II n’était pas de marbre mais de glaise ; façonnée, pétrie, de façon à ce que le monde entier la vît comme un rêve de pierre, à la manière de La Beauté selon Charles Baudelaire : “Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;/J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;/Je hais le mouvement qui déplace les lignes,/Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.” » Sa dignité (royale) concernait tant sa condition que son trône. Elle incarnait aux yeux des Britanniques la légalité. Tout s’est joué, en effet en 1936 malgré le fait que sa naissance ait généré un très grand intérêt de la part du public, elle n’était pas destinée à être reine. Le roi George V tirait sa révérence en queu-de-pie (détestant les smokings) le 20 janvier, laissant le trône à son fils, dauphin du Viennois d’outre-Manche, le nouveau roi Édouard VIII. Celui-ci abdiquait le 11 décembre, cédant sa place à son frère le Roi bègue. Et comme le fit remarquer Ayyam Sureau (philosophe et chroniqueuse chez La Croix), « ce fut shakespearien, avec son lot de traîtrises, de cruautés, de pardon impossible, de goût du pouvoir maquillé en duty. »Quatre rois : Édouard VII (droite), son fils George de Galles, futur George V (gauche), et ses petits-fils David de Galles, futur Édouard VIII (arrière-plan) et Albert d’York, futur George VI (premier-plan), vers 1908, Wikimedia.
L’épouse du futur roi George VI, la reine mère Elizabeth Bowes-Lyon (1900-2002), s’avéra être en 1936 un véritable fondateur de la nouvelle dynastie.
Édouard VIII et Wallis Simpson en visite secrète à Berlin en compagnie de Adolf Hitler, führer du Reich allemand, 1939 (photo qui fut toujours cachée par la famille royale britannique et retrouvée par un groupe d’historiennes et d’historiens dans les archives royales britanniques).
La princesse Elizabeth d’York réalisant le salut fasciste, imitant sa mère et son oncle paternel et le prince Henry de Galles avec son déguisement nazi (photos révélées par le magazine hebdomadaire britannique The Sun).
Mais, la défunte reine présidait, avec des sourires aiguisés, moultes fondations charitables. Beaucoup déplorent cependant qu'elles ne se soient pas impliquées pour les causes de défense des minorités (étrangers, LGBTQ+...), ce qui lui valu son lot de critiques. Mais, comme le faisait remarquer Harold Wilson, premier ministre (travailliste) du Royaume-Uni : « la bienfaisance de la Reine ne s’exerçait qu’avec les deniers publics ». En revanche, les valeurs familiales, que prônait la défunte cheffe suprême de l’Église anglicane, ont donné lieu à des contradictions difficiles à celer. Le coup de grâce étant l’enrôlement de son fils préféré, le duc d’York, dans les engrenages du système Epstein. Après sept décennies passées à se camoufler, se comprimer et se dérober en toute sournoiserie : Elizabeth Alexandra Mary Windsor, alias Elisabeth Regina. La « firme » (selon les dires de George VI) des Windsor aura réussi à contenter les Britanniques pendant presque un siècle. Désormais, selon Philippe Marlière (professeur de sciences politiques à l’University College de Londres), le Royaume-Uni va parler des colonies, de l’impérialisme, sur la place publique, avec trente ans — une génération — de retard. » ; le Royaume reconnaîtra ainsi (peut-être) son passé esclavagiste avec ce « pape de transition » qu’est le roi Charles III, qui se révèle ainsi moins gaffeur que son défunt père — pour qui les sorties racistes n’étaient pas qu’une simple tradition mais un art de vivre : du méprisable « vous êtes prêt à vous mettre au lit » au président du Nigeria en habit traditionnel à l’insoutenable « si vous restez ici trop longtemps, vous repartirez avec les yeux bridés » lâchés à des étudiants britanniques en Chine. Le nouveau roi a déjà exprimé ce qui était impossible pour sa défunte mère, c’est-à-dire la reconnaissance des atrocités de l’esclavage et de l’expulsion des demandeurs d’asile au Rwanda décidée par Boris Johnson et poursuivie par la très brève Liz Truss.