Interview de Ouerdia Ousmer, co-créatrice du podcast "Éclosion".
Merci beaucoup d'avoir accepté cet entretien, je suis sûr que cela sera très constructif pour nos lecteurs.
- Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Je m'appelle Ouerdia Ousmer, j'ai 32 ans. J'aime à dire que je suis une communicante intensément passionnée : je travaille en agence de communication. Je suis également, avec mon amie Célia Belhadji, co-créatrice du podcast "Éclosion".
- Pouvez-vous nous parler de votre formation et des débouchés qu'elle vous a offerte ?
J'ai fait mes études à Tizi Ouzou, du primaire à l'université, où j'ai étudié en tronc commun les sciences de gestions avec option management à l'université Mouloud Mammeri. Ce choix d'étude était vraiment réfléchi, j'étais attirée par le monde de la gestion, notamment de la gestion culturelle, humaine de manière plus générale parce que je participais à l'organisation de festivals.
En 2012 je décide de partir en France poursuivre mes études, parce qu'en terminant mon cycle à Tizi, je ne me sentais pas prête à entrer dans le milieu professionnel. Je me demandais quelle légitimité j'avais, en tant que jeune diplômée, à arriver dans une entreprise et m'autoproclamer "professionnelle". Je n'avais ni assez de recul, ni assez d'expérience. Je ne me sentais tout simplement pas prête. J'intègre donc l'Institut des Administrations et des Entreprises de Créteil. J'ai beaucoup apprécié ma formation, dans la mesure où les IAE sont des écoles universitaires : vous avez la qualité de la formation, mais sans les coûts des grandes écoles.
Mon master en management était à double débouchée : professionnelle ou une débouchée recherche. J’ai choisi la première pour être dans l'activité, être consultante et pas dans la recherche, pas dans un labo ou à enseigner, même si la transmission ne me dérange pas puisque je suis dedans par mon métier de communicante.
Quand je suis partie en France, je n'avais aucunement l'intention de m'installer là-bas. Mon objectif étant vraiment de renforcer mon bagage, puis de revenir travailler au pays. J'y reste cependant trois ans, au cours desquelles j'ai eu l'occasion de faire un stage dans une multinationale qui m'a permis de gagner cette légitimité. J'ai gagné en assurance, j'ai un peu mieux compris les clés de lecture d'une entreprise. Même si les codes en Algérie et en France ne sont pas les mêmes, le monde professionnel de manière générale peut-être englobé dans certains paramètres. Je commence à travailler avec un auto-entrepreneur, et c'est là que je fais mon entrée dans le monde de la communication.
- Alors que vous aviez une formation en management à l’origine ?
Oui, mais beaucoup de choses me menaient vers la communication. Etant en France j'ai développé une passion pour la photographie. J'ai fait de la radio, qui a encore plus attisé cet amour et cette passion pour le monde de la communication, et je disais que mon objectif était d'un jour pouvoir allier mes deux compétences : la communication et le management. Pour ce dernier, c'était facile, j'avais déjà mon diplôme. Mais en communication, comment faire sans diplôme ? Mon expérience avec cet ami auto-entrepreneur m'a permis de commencer à écrire des articles de blog, à faire connaissance avec le métier de community manager, à faire des interviews et donc d’avoir une expérience professionnelle de la communication.
En 2015, mon envie et mon objectif étaient atteints : poursuivre mes études et consolider mon bagage. Il fallait donc revenir en Algérie. J’ai préparé mon retour depuis la France. C’est à un salon de l’emploi destiné aux algériens basés à l’étranger que j’ai pris contact avec l’agence pour laquelle j’ai travaillé une fois de retour en Algérie. Je l’ai intégrée en tant que chef de projets digitaux. Aujourd'hui je suis chargée de communication et image dans l'agence Média Stratégie depuis trois ans et demi. Finalement, le travail et ma stratégie pour allier la communication et le management et entrer dans le monde de la com ont payé.
Dans le monde de la communication, il y a énormément de personnes qui n'ont pas forcément de diplômes dans le domaine. Beaucoup sont autodidactes. Ce ne sont pas les diplômes qui dictent qui vous êtes, ou ce que vous allez faire. L’aspect clé, c’est la passion.
C'est intéressant comme message pour nos camarades parce que ça donne à voir un parcours qui n'était pas forcément tout tracé ni très conventionnel.
- Vous avez un peu traité la question suivante. Elle concerne votre retour en Algérie. La plupart des élèves du LIAD se projettent à l’étranger. Vous êtes revenue, c’est assez rare. Qu’auriez-vous à dire à tous ces élèves sur cette question du départ ?
Tout d’abord, je ne suis pas un cas si rare que cela. Beaucoup ont décidé de revenir. "Partir" n'est pas un objectif en soi. L'objectif est de partir faire quelque chose, poursuivre des études, construire un projet, vivre une expérience nouvelle, découvrir le monde. Il est vrai que le voyage construit la jeunesse : c'est une expérience unique en son genre qui vous apprendra beaucoup sur vous-même. Personnellement, j'encourage les gens à vivre une expérience ailleurs, parce que on ne dépend plus des parents, on apprend à se débrouiller seul, on est dans un environnement où il faut construire de nouveaux repères, on est dans une société qui est différente de la nôtre, avec des codes différents, donc il faut savoir s'adapter, et surtout il ne faut pas se laisser aller parce qu'on part pour un objectif il ne faut pas le perdre de vue.
Revenir en Algérie ne signifie pas être en échec. Déterminez vos objectifs et vous aurez déterminé votre réussite, car elle n’a pas le même sens pour tout le monde. Nous avons tous des paramètres, des environnements différents qui font que nos attentes sont différentes. Beaucoup de personnes ont pensé que je suis revenue parce que j'ai échoué en France, alors que pas du tout. Au contraire, j'avais atteint plus d'objectifs que je ne m'en étais fixé au départ. Au final, je me suis découvert des passions, donc quand je suis revenue, j'étais plus solide que quand j'étais partie. Donc partir, oui ! Pourquoi pas ? Vivez cette expérience, mais partez pour les bonnes raisons, et revenez pour les bonnes raisons aussi. Parce que, l'Algérie a besoin de ses enfants pour la construire.
- Passons à votre podcast. Qu'est ce qui vous a poussé à le créer ? Est ce que c'est dû à un événement particulier ? Et pourquoi ce nom, Éclosion ?
Il est né le 17 septembre 2019, d’un appel reçu de Célia Belhadji, amie et co-créatrice du podcast, où elle me parlait de ce projet qu’elle aimerait réaliser avec moi. Elle écoutait déjà beaucoup de podcast. Le format audio est souvent idéal pour conserver une activité intellectuelle quand on a un rythme de vie assez rapide.
L'idée était qu'à travers l’Algérie, dans le maghreb ou ailleurs, lorsqu’une femme faisait naître un projet, on en entende parler. La femme algérienne est déterminée, courageuse, c'est une battante, elle compétente, talentueuse, on a mille et un adjectifs pour la qualifier, mais elle n'est pas mise en lumière. On n'entend pas parler d'elle, on n'entend pas parler de son parcours, ni de ce qu'elle peut vivre ou créer. Il s’agissait donc de créer une plateforme où elle pourrait partager son expérience, car c’est la meilleure clé pour inspirer et motiver les autres. Nous avons donc accueilli dans le podcast des femmes chercheurs, entrepreneurs, artistes, cinéastes, comédiennes… Il n'y pas de profil défini. Nous avons juste pour objectif de mettre en valeur les femmes algériennes qui ont un parcours inspirant et une histoire à raconter afin de permettre aux autres femmes de s'en inspirer et d'aller de l'avant. Révéler le potentiel des algériennes, c'est vraiment la ligne éditoriale du podcast.
Pour ce qui est du titre, cela fait référence à l'éclosion d'une fleur. Si une fleur éclot, c'est qu'elle est épanouie dans son environnement. On voulait un joli nom que les gens puissent retenir, qui soit original mais qui ait aussi beaucoup de sens ; l'éclosion, c'est l'épanouissement. On a pu accueillir dans le podcast une trentaine d'invitées qui sont toutes épanouies et qui ont réussi à bien s'enraciner dans leur environnement, et qui ont su grandir, avancer et être aujourd'hui des femmes inspirantes aux parcours impressionnants. Même nous qui avions conscience du potentiel de la femme algérienne l'avons découvert encore plus à travers les interviews de ces femmes, installées en France ou ici ; l'Algérienne où qu'elle soit.
- Comment avez-vous mis en place le projet ? Pourriez-vous nous parler plus amplement de la réalisation ?
Nous sommes deux : Célia et moi. On a eu l'aide d'un ami graphiste qui nous a aidé pour développer le logo. Ni Célia ni moi ne sommes graphistes, il nous fallait de l'aide pour créer une identité à ce projet. Ce même ami nous a aidé au départ pour le montage de certains épisodes, mais au final on a beaucoup appris sur le tas.
Pour être honnête, nous n’y avons pas réfléchi mille ans : le format était clair, le thème principal également. On a misé sur du bon matériel, et on a commencé à travailler. Tout d'abord on a commencé une wishlist où on mettait des noms de personnes qu'on souhaitait interviewer. Souvent, sur des projets on passe énormément de temps à réfléchir, à vouloir qu'ils soient parfaits. La perfection n'existe pas. Si vous avez le nécessaire, le minimum viable pour lancer votre projet, foncez. Si vous patientez trop, déjà quelqu'un risque de vous devancer et même en cherchant la perfection vous n'êtes pas à l'abri d'une erreur, bien au contraire.
- Quels retours avez-vous reçus ? Étaient-ils négatifs, positifs ? Comment le public algérien a reçu "Éclosion" ?
Pour être honnête, on a eu énormément d'enthousiasme dès le début du projet. Le format podcast n'est pas vraiment répandu en Algérie, donc la question qu'on se posait était de savoir si les gens nous écouteraient. Aujourd'hui, on le voit à travers les réseaux sociaux, il y a un gros déficit de l'attention. Nous avions peur que l'idée d'écouter quelqu'un parler pendant une heure voire une heure et demi puisse ennuyer, et finalement les auditeurs ont répondu présents à l'appel. Plus ça avançait, plus on recevait d'invités et plus on ressentait l'enthousiasme à travers les commentaires. Lorsque l'on reçoit des messages de femmes qui trouvent le podcast inspirant, ou qui se reconnaissent dans le parcours de certaines invitées, on se dit que l'objectif est atteint. On est aussi cependant écouté par des hommes, qui ont fait un très bon accueil au podcast, donc pas de négatif et tant mieux. Nos auditeurs nous suivent autant d'Algérie que d'autres pays : France, Espagne…
- Vous avez dû rencontrer beaucoup de difficultés : de quel ordre elles ont été ?
Célia et moi nous entretenons ce projet bénévolement, et avant une interview il faut se renseigner sur l'invité, faire des recherches, préparer les questions, enregistrer, trouver le lieu, monter, faire l'introduction, le générique et le message de fin. Le côté un peu compliqué de la chose réside dans la synchronisation des plannings avec les invités, qui peut s'avérer difficile à gérer. On peut avoir un désistement à la dernière minute. L'idéal quand on gère un podcast est d'avoir du backup quelques épisodes en stock pour pouvoir être à l'aise. Il m'a fallu m'adapter aux outils. Je n'avais jamais fait de montage audio, mais aujourd'hui je suis capable de traiter un épisode entier.
- Qu'est ce que vous répondriez à un détracteur qui vous dirait que votre podcast, ne donnant la parole qu'aux femmes, serait sexiste ?
Cette question nous a déjà été posée, d'une manière bienveillante dans une volonté de comprendre notre démarche. Comme on le disait tout à l'heure, on trouve que les femmes et leur parcours ne sont pas mis en valeur. Les hommes ont un espace qui leur est dédié : ils peuvent discuter dans un café, en bas de l'immeuble, dans la houma, ils peuvent se retrouver n'importe où, mais les femmes ont elles cette liberté ?
Comment s'adresser à ces femmes, comment leur parler, leur donner un semblant d'espoir ? Comment faire en sorte que les femmes se retrouvent, alors qu'on ne peut pas toutes sortir quand on veut, ni se retrouver dans un café… Donc pour résumer, les hommes ont déjà des espaces où se retrouver, les femmes un peu moins, même si aujourd'hui des choses se créent : il y a des associations, des clubs de lecture, mais pour que ça ait un impact sur la société il faut que ça se généralise. Il ne faut pas oublier les femmes et trouver le moyen de s'adresser à elles. Si elles ne peuvent pas venir à nous, nous viendrons à elles par ce podcast en mettant à disposition un espace d’expression
- Quel message aimerais-tu adresser aux liadois pour conclure ?
J’ai deux ou trois expressions que j'aime bien et qui résument mon état d'esprit :
“L'optimiste est un démultiplicateur de forces.” Si vous êtes trop dans la négativité, et que vous ne savez pas être optimistes, vous avez un moteur en moins, comme un avion avec un seul réacteur.
“Fais-le avec le cœur ou ne le fais pas du tout.” Si vous voulez faire les choses bien, si vous avez des objectifs, il faut vous donner les moyens d'y arriver. On n'a rien sans efforts. Même avec tous les moyens nécessaires, si on ne se les donne pas soi-même on ne peut pas réussir. Et le fait de faire les choses avec le cœur nous permet de mieux tenir, même la fatigue est positive parce qu'on sait pourquoi on s'épuise.
“La vie a un début et une fin ; le reste, c'est ce que vous en faites.” Personne ne viendra vous prendre la main pour vous emmener vers ce que vous cherchez. La réussite est un travail que l'on accomplit seul à condition de se fixer de bons objectifs, de travailler, de bien s'entourer, de s'y tenir, d'y croire, d'avoir foi en soi, c'est important, et en même temps n'oubliez jamais d'où vous venez. Il faut tenter des expériences, ne pas chercher une vie parfaite, ça n'existe pas. Expérimentez, ne soyez pas fainéants. Aujourd'hui, vous avez une énergie incommensurable : tentez le maximum de choses.
Interview réalisée par Racim Smahi, T3, rédacteur.