Europe de l'Est, une opposition au sein de l’U.E ?
Dans les années 90 et 2000, une multitude de pays de l’Est de l’Europe se joignent à la principale alliance politique et économique du continent, l’Union Européenne. Après un demi-siècle de guerre froide, ces nouvelles entrées revêtent une symbolique forte, celle de la réconciliation entre Europe de l’Ouest, plus développée et riche, et Europe de l’Est, réputée pour ses tempéraments forts et son histoire contemporaine tumultueuse. Cependant, il serait naïf de penser que l’intégration de ces Etats à l’U.E les a poussés à se conformer à ses valeurs énoncées dans le traité de Lisbonne ou à respecter ses lois et ses institutions. Bien au contraire, plusieurs gouvernements de l’Est, qui forment le « groupe de Visegrad » depuis 1991, se sont illustrés dans leur opposition aux principes en question: Hongrie de Viktor Orban et Pologne de Mateusz Morawiecki en sont les exemples majeurs.
Durant les dernières années, deux « mauvais élèves » se sont fait particulièrement remarqués sur la scène européenne de par leur hostilité assumée vis-à-vis de certains aspects de la principale union politico-économique d’Europe.
Le premier, qui a vu son territoire mis à feu et à sang tout au long du 20ème siècle par des puissances expansionnistes (d’où une certaine méfiance envers les organismes intergouvernementaux et supranationaux), n’est autre que la Pologne.
De fait, le pays est en confrontation directe avec Bruxelles sur des questions judiciaires depuis 2015-2016, période à laquelle une réforme du régime disciplinaire des juges polonais est mise en place. Celle-ci prévoit notamment l’instauration d’une Chambre disciplinaire, au centre des critiques et des sanctions prononcées par l’U.E car elle nuirait à l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’exécutif et du législatif. Ce n’est pourtant qu’en août 2021 que la chambre ferme sous la pression diplomatique et financière, un mois après que la Cour de Justice de l’union l’ait jugée non conforme au droit européen.
Cependant, l’affrontement, bien que toujours sur le terrain de la justice, a aujourd’hui changé de casus belli. En effet, le Jeudi 7 octobre 2021, le Tribunal Constitutionnel polonais, suite à aux sollicitations du premier ministre Mateusz Morawiecki, décrète un arrêt stipulant que certaines parties des textes de loi européens ne peuvent coexister avec la constitution du pays, refusant par conséquent de se plier à la primauté du droit européen sur le droit national, principe inhérent au fonctionnement et à la cohésion au sein de l’U.E.
Il est bon de rappeler que ce récent tour de force de la part du gouvernement du parti conservateur du PiS (« Droit et Justice ») a pour but principal d’empêcher les nations européennes de s’immiscer dans les affaires intérieures du pays qui font également l’objet de critiques et de sanctions. Effectivement, la primauté du droit européen n’est pas la seule valeur bafouée par la Pologne : le respect des droits des minorités est bien loin d’être une priorité du gouvernement. De fait, en 2019, 88 localités polonaises du sud-est (qui englobent 30% de la population nationale) se déclarent « libres de toutes idéologies LGBT+ » en faisant passer des lois qui, entre autres, autorisent les acteurs privés à refuser leurs services à des personnes appartenant à des minorités sexuelles. Là aussi, face à l’Union Européenne qui retire petit à petit ses subventions se chiffrant parfois en millions d’euros aux régions concernées, nombreuses sont les autorités locales polonaises qui font rapidement marche arrière et suppriment l’existence légale de ces zones «sans idéologies LGBT+ ». Certaines persistent et réaffirment leurs législations discriminatoires, comme le voïvode de Petite-Pologne, malgré les promesses européennes de sanctions financières accrues.
Le deuxième récalcitrant de l’Est n’est nul autre que la Hongrie, qui a elle aussi vécu l’occupation nazie et soviétique.
Le pays, dirigé par le membre du parti Fidesz (droite conservatrice) Viktor Orban en plein 3ème mandat consécutif, a beaucoup de similarités avec la Pologne dans ses rapports avec l’U.E. Il fait d’abord partie, comme son voisin, du « groupe de Višegrad » et s’est donc opposé en 2015 au système de quotas d’accueil de réfugiés voté par la très grande majorité des nations du continent, n’en acceptant aucun selon la Commission Européenne et se plaçant ainsi en marge.
Dès 2012, les mésententes se font pareillement sur le plan de la justice avec l’instauration d’une « Loi fondamentale » à valeur de Constitution. La Commission Européenne voit dans cette dernière une réforme cherchant à nuire à l’indépendance des magistrats hongrois, comme en Pologne, mais aussi une façon de soumettre la Banque centrale hongroise aux pouvoirs législatifs et exécutifs. Trois procédures d’infractions sont alors lancées mais une seule aboutira, conduisant à une simple modification de cette Loi fondamentale.
Mais la Hongrie n’est pas seulement porteuse de simples querelles sur ses lois ou son respect des institutions et des programmes européens, mais d’une véritable opposition idéologique à laquelle participent activement ses voisins du groupe de Visegrad. Ainsi, face à la démocratie libérale occidentale qui place au centre des considérations le maintien et la protection des libertés civiles et individuelles, Viktor Orban prône ouvertement une démocratie illibérale, conceptualisée en 1964 par Fareed Zakaria, où le gouvernement est toujours nommé suite à un processus démocratique mais où il peut toutefois largement dépasser les limites de ses fonctions fixées par la Constitution et enfreindre les lois en vigueur tant que la population l’y autorise, directement ou non. Ainsi, les lois, les hauts fonctionnaires, ou les institutions clés supposées indépendantes comme la Justice y sont dépossédés de leur légitimité et discrédités tandis que la hiérarchie des normes (chaque norme décrétée par un organe de l’Etat tire sa validité de son adéquation avec la norme supérieure, le sommet étant la Constitution) est brisée. État de droit qui repose sur ces conditions et libertés individuelles, principes fondamentaux que l’U.E s’attelle activement à protéger, sont donc menacés dans ces pays de l’Est menés par la Hongrie au nom d’une lutte contre les élites et d’une reprise en main du pouvoir par le peuple, le tout sur fond de rhétorique anti-migrants.
Face à leurs comportements hostiles à l’U.E, ses institutions et ses valeurs, la Pologne et la Hongrie se voient aujourd’hui privées des fonds européens qui devaient financer des plans de relance nationaux. A elle seule, cette décision, datée du 8 décembre, devrait être capable de ramener de force les deux récalcitrants à la table des négociations mais ne suffira sûrement pas à mettre un terme au tournant illibéral.
- HAMDANE Rayane, T1, rédacteur.