Dessins animés : une fabrique de la pensée ?
Rien n’est plus difficile que d’écrire un film ou un livre pour enfant, non ? Il faut que l’univers captive dès les premières minutes, il faut des aventures, des personnages qui brillent par leur bonté, leur intelligence, leur courage, assez pour faire étinceler d’admiration les yeux des spectateurs. Surtout, les histoires fictives destinées à la jeunesse sont très loin du développement des personnages comme il est courant d’en voir dans les œuvres pour les jeunes adultes. Tout est simplifié, compréhensible, accessible. Le problème étant qu’on ne peut pas simplifier une histoire sans véhiculer par la suite d’énormes stéréotypes et des morales douteuses. Ils sont nombreux, écrasants, et partout dans la vie de tout les jours. Et nous les injectons aux enfants dès le plus jeune âge. N’est-ce pas hypocrite ? Ridicule ? Vain ? La société actuelle est colorée de problèmes de discriminations, de manque d’égalité, de représentation. Nous tentons de les résoudre par tous les moyens, mais pourquoi ne supprimons-nous pas leur origine ?
Prenons Barbie, que toutes les petites filles – et garçons- ont dû regarder au moins une fois. Pour Barbie, le problème n’est pas si évident ; Barbie est intelligente, très gentille, elle n’a besoin de personne pour trouver des solutions à chaque ennui. Seulement, dans l’univers à paillette de la poupée, tout le monde est grand, beau, blond avec les yeux bleus, parfaitement formé. Les personnages de couleurs se comptent sur les doigts d’une main. Le cas est le même pour les princesses Disney, à ce jour les héroïnes racisées ne sont que cinq, même si le progrès est notable ; les princesses ne sont presque plus conditionnées à attendre le prince charmant sur son cheval blanc, mais ces dessins animés n’en restent pas moins problématiques. Et je pense sincèrement que le problème est le même pour les garçons ; il n’y a qu’à voir la place qu’ils occupent sur l’écran, et leur attitude toujours brave, forte, et virile. C’est par le biais de ces dessins animés que ce que nous identifions aujourd’hui comme étant la masculinité toxique a commencé à germer. On nous a toujours renvoyé l’image de l’homme fort qui sauve tout le monde, ne pleure jamais, tout simplement parce qu’il n’a pas peur.
Je ne vais pas citer ces clichés plus longtemps, mais forcément, vient un jour où on grandit, un jour où nous voyons bien que la réalité n’est pas celle dépeinte dans les films.
Ce n’est pas un hasard, si aujourd’hui les personnes discriminées sont celles qui sont le moins représentées dans les dessins animés. Ce n’est pas un hasard si nos clichés sur les gens correspondent en tout point à ces personnages plus simplifiés. La grande blonde aux yeux bleus est toujours l’idiote, le garçon avec des lunettes qui n’aime pas le foot sera toujours le geek introverti, et j’en passe, parce que ces clichés existent par milliers. Ce sont les exemples que nous avons eus petits, il est normal qu’on s’en serve pour comprendre le monde en grandissant. Et au lieu de venir corriger les choses, l’écrasante majorité des fictions pour ados viennent en ajouter de nouveaux à cet amas énorme : le bad boy au blouson en cuir, la petite nouvelle timide, la peste du lycée (toujours étrangement blonde et magnifique), le meilleur ami homosexuel qui aime le maquillage et parler de garçons avec ses copines. Plus étrange encore, ces figures se retrouvent, s’accordent, et forment harmonieusement une humanité aux couleurs fades et sans saveur. Jamais de personnages racisées, si ce n’est avec des préjugés astronomiques accrochés aux pieds. Jamais d’autres morphologies que les standards de beauté. Il est évident qu’à force de rencontrer les mêmes personnages avec les mêmes attributs et le même caractère, on finit par penser qu’ils sont tous les mêmes.
Est-ce normal ? Cela veut-il dire que les fictions pour enfants sont en réalité destinées à une petite partie de tous ? Cela veut donc dire que les autres ne méritent pas d’être représentés, qui n’ont pas le droit de voir des personnages qui leur ressemble, parce qu’ils sont trop ci ou pas assez cela ? Et que se passe-t-il lorsqu’un enfant voit ce genre de choses dans les livres ou à la télé ? Il pense que le monde, c’est ça. Que c’est ainsi qu’il est fait, qu’il fonctionne, que c’est ainsi qu’il faut être. Que ce qui ne correspond pas à ça n’est ni bon, ni normal, ni acceptable. Et c’est comme ça que nous cultivons le racisme, le sexisme, l’homophobie, c’est comme ça que nous apprenons à coller des étiquettes aux gens.
Où ce système nous a-t-il amené ? Les faits parlent d’eux-mêmes. Il m’arrive de revoir de vieux dessins animés de temps en temps, ou de relire certains de mes anciens livres. Au-delà des dialogues qui me paraissent grotesques avec du recul, il est très fréquent que je m’indigne toute seule face à ce que j’adulais étant petite. C’est donc de ça que mon imaginaire se nourrissait ?
Rien n’est plus difficile que d’écrire un film ou un livre pour enfant, non ? Alors autant que ce soit pour les bonnes raisons. Il faut que l’univers captive dès les premières minutes, il faut des aventures, des personnages qui brillent par leur bonté, leur intelligence, leur courage, assez pour faire étinceler d’admiration les yeux des spectateurs. Il faut des personnages auxquels nous pouvons nous identifier, des personnages imparfaits, qui font des erreurs, se relèvent, continuent d’avancer. Des personnages divers et nombreux, qui mettent en valeur toute la diversité culturelle au sein de l'espèce humaine, parce qu’elle est magnifique, et qu’au lieu de la nier nous devrions la mettre à l’honneur. La culture que nous offrons aux plus jeunes est ce qui va forger leur première image du monde, et je suis sincèrement convaincue que ça permettra aux générations futures de comprendre ce qu’encore trop de personnes aujourd’hui refusent d’admettre.
Le monde aurait-il été différent si nous avions pris le temps d’élaborer des fictions justes, qui prônent la diversité et encouragent la différence au lieu de rejeter son existence ? À vous de me répondre.
Camyla Lakhel-Ayat 2.4