Rapide rétrospective sur le Brexit et ses conséquences
Il est à préciser qu’une série de définitions et d'explications sont disponible en fin d’article, précisant les termes suivis du symbole *.
Nous sommes le 31 janvier 2020, il est (presque) minuit, heure bruxelloise, et aux quatre coins de l’Europe l’ambiance est électrique. En effet, pour beaucoup, ce début du mois de février pourrait être le point culminant de la situation d’échec parlementaire dans laquelle se sont enfermés le Royaume-Uni et l’UE. Au parlement européen a sonné l’heure des larmes et des adieux, dans le continent entier une page de l’Histoire se tourne : le temps du Brexit est arrivé.
Mais n'exagérons rien et revenons en aux faits. Si à l’étranger, les médias n’ont cessé de dégager une impression de rejet global de la réforme en Grande Bretagne, la volonté populaire de quitter la coalition n’a en réalité jamais failli à se faire ressentir, à aucun référendum*1 ou à aucune élection. C’est ainsi, et seulement de cette manière, par la volonté du peuple britannique ; qu’en cette soirée du 31 janvier, l’UE perdit pour la première fois de son histoire un état-membre. Pour se l’expliquer, il est à savoir qu’avant même d'être signée, ce deal avait déjà eu des effets majeurs sur la société anglaise. Précisément, il a monopolisé la vie parlementaire, contraint chaque élu à émettre un avis sur la question; creusant ainsi des fossés idéologiques au sein même des parties de pouvoirs (conservateur*2 et travailliste*3). Provoquant donc scandale sur scandale, démission sur démission,... après trois longues années de “guérilla parlementaire”, il est à constater un bilan politique lourd mais très favorable au parti du gouvernement (conservateur).Celui-ci a réussi à s’unir sous la bannière du Premier ministre, à éviter des polémiques aussi importantes que celle du scandale Corbyn*4, mais surtout a su mettre à exécution son projet phare de Brexit tout en évitant le no deal tant redouté. Une conclusion aussi positive à une telle crise n’a pu que favoriser l’installation d’une confortable majorité à la Chambre des communes*5 (nécessaire au maintien du gouvernement, d’après la constitution), symptôme d’une montée en puissance significative de l’idéologie conservatrice.
Aujourd’hui, après signature de l’accord symbolique de séparation des deux entités, il a été accordé un délai de 11 mois au gouvernement britannique pour accomplir toutes les démarches nécessaires à “un divorce à l’amiable”. Dans cette configuration, les conséquences que l’on pourrait qualifier d’effets à court terme n'apparaîtront en vérité qu’à partir du 31 décembre prochain.
Malgré tout, il n’est pas défendu d’imaginer dès à présent une série de conséquences directement en lien avec l’issue des négociations.
Economiquement , il est certain que l’évènement aura un impact direct (positif ou négatif d’ailleurs) sur la livre sterling et l’euro. En effet, dans un premier temps, le Royaume-Uni ne disposera sûrement plus ni des subventions européennes à son agriculture (entre autres), ni du réseau continental d’échanges ferroviaires, routiers, aériens et fluviaux; qui semble agir comme un produit dopant sur les secteurs économiques du tourisme et du commerce des états-membres et entre états-membres; mais surtout les exportations britanniques vers le continent devront honorer les taxes européennes (réputées pour être onéreuses). Réciproquement, l’état anciennement coalisé ne sera plus dans l’obligation de verser les 11 milliards annuels imposés (qui ne représentaient pourtant que 0,34 pour cent de son PIB*6), et évitera ainsi un déficit contributif annuel de 5 milliards d’euros, représentant un pourcentage encore plus faible. Enfin et surtout, la nouvelle indépendance économique du Royaume-Uni pourrait l’amener à se tourner (en plus de ses voisins européens) vers de grandes nations aux économies émergentes (depuis plusieurs décennies déjà) comme la Russie, la Chine ou l’Inde; mais surtout vers le pôle économique occidental voire mondial: les USA. Cette volonté de réorienter l’économie nationale
pourrait d’ailleurs faire partie intégrante des causes non-dites mais majeures du projet.
Politiquement , si la robustesse surprenante du régime lui a permis de résister et de survivre aux débâcles parlementaires, la mise en application du Brexit pourrait mettre en péril la stabilité politique intérieure du pays. Pour cause, le Royaume-Uni, comme son nom l’indique, est le fruit de l’unification (en 1922 seulement) de quatre puissances monarchiques: le Royaume d’Angleterre, le Royaume de Galles, le Royaume d’Ecosse et enfin le Royaume d’Irlande. Cette union ne se fit évidemment pas au moindre coût, et dès la signature de l’accord, une guerre civile entre la milice séparatiste IRA (Irish Republican Army) et l’armée nationale Anglo-Irlandaise éclata; guerre civile qui s’acheva sur l’accord d’un territoire aux forces nationalistes: la République d’Irlande. Cette concession donna cette fois lieu à des luttes armées entre des groupes pro-britanniques et pro-Républicain Irlandais, qui ne prirent complètement fin qu’au moment de l'abolissement de la frontière par l’instauration de l’espace Schengen*7 (La République d’Irlande étant un des 27 états-membres demeurant dans l’UE). Or, avec le retrait du Royaume Uni des accords européens et donc le retour d’une démarcation franche entre les deux états, frontière peut-être même gardée, certains suggèrent d’envisager l’hypothèse de nouveaux soulèvements dans une région (difficilement) pacifiée depuis des décennies. Parallèlement, au quasi-lendemain des élections, il a été réclamé en Ecosse un référendum portant sur la volonté des citoyens de rester membre du Royaume-Uni (toujours pas accordé à ce jour). Enfin, il relève de l’urgence pour les services sociaux britanniques d’étudier le cas des “quelques” trois millions de ressortissants européens résidant en Grande Bretagne, dont seulement la moitié ont déjà obtenu le statut de “résident permanent*8” ou celui de “pré-résident provisoire*9”, au risque d’une crise diplomatique à l'échelle des états et de drames personnels à l’échelle des individus.
Militairement , il est certain que l'arrêt de la contribution en hommes et en moyens aux actions européennes qu’induit le Brexit aura un impact majeur sur la scène géostratégique et militaire internationale. En effet, dans une période de troubles comme la nôtre, où il semblerait que nous assistons à la mise en place d’un nouvel ordre de répartition des zones d’influences (vagues de terrorisme au Sahel, retrait des troupes américaines au Moyen-Orient, tensions entre la Russie, la Turquie, l’Iran et le régime syrien en Syrie,...), le Royaume-Uni se privera de l’accès précieux aux bases européennes dans les zones concernées ; en imaginant qu’aucun nouvel accord militaire à ce sujet ne soit signé . D’un autre côté, le Royaume-Uni recouvre une partie de la souveraineté qu’il a sur son armée mais surtout son utilisation; et reste membre de l’OCCAR *10( Organisation for Joint Armament Co-operation ). Enfin, la perspective d’une UE après Brexit nous rappelle que la France devient désormais la seule armée conséquente d’une Union victime de la disparition des soldats britanniques. C’est cette contrainte qui pourrait, à long terme, pousser les “vainqueurs” à lever entièrement la restriction appliquée à l’armée allemande suite à la Seconde Guerre Mondiale, rééquilibrant en quelque sorte la force de frappe et de dissuasion perdue. Finalement, cette rapide projection des conséquences plus ou moins certaines du Brexit interroge sur l’utilité du projet. En effet, à trop vouloir éviter une crise migratoire, le Royaume-Uni n’a plus qu’un contrôle réduit sur le nombre de migrants foulant le sol européen ; à trop vouloir rendre son indépendance à son économie, le Royaume-Uni se voit aujourd’hui dans l’obligation de payer au prix fort les services qui lui étaient dus à coût réduit ; à trop craindre de perdre le contrôle total de sone armée, le Royaume-Uni doit désormais presque limiter sa politique étrangère à celle du pacte Nord Atlantique*11. Mais plutôt que de s’interroger sur la valeur d’un choix qui n’est pas le sien, l’Union Européenne devrait plutôt se questionner sur l’avenir auquel elle aspire, et à la manière d’y parvenir.
Ici, la nature même de l’organisation est peut-être à remettre en cause.
Ainsi, pour faire face au retour de superpuissances comme la Chine ou la Russie, l’UE n’a-t-elle pas intérêt à passer du statut de supranational à fédéraliste ? Pour une Europe plus soudée, plus efficace et plus forte, ou l’idée d’une Union à 26 n’a même pas sa place.
1Référendum:
Vote qui permet à l'ensemble des citoyens d'approuver ou de rejeter une mesure proposée par le pouvoir exécutif.
2Parti Conservateur et Unioniste:
Le parti Conservateur et Unioniste ou “ Conservative and Unionist Party” est le parti majoritaire au Parlement Britannique, historiquement positionné à droite. Son président actuel Boris Johnson cumule également le rôle de Premier Ministre Parti
3Travailliste:
Le parti Travailliste, ou “Labour Party” est un parti important au Parlement Britannique, il est historiquement à gauche de l'échiquier politique. Son président actuel est Jeremy Corbin.
4Le scandale Corbyn:
Le scandale Corbyn fait suite à la déclaration suivante:
«Nos amis juifs ne sont pas plus responsables des actions d'Israël ou du gouvernement Netanyahu que nos amis musulmans ne le sont de celles des différents Etats ou organisations autoproclamés islamiques.»
Il est à comprendre que le gouvernement actuel d'Israël est comparable à Daech.
Ces déclarations faites la semaine précédant les dernières élections auraient grandement influencé les votes.
5Chambre des Communes:
La Chambre des communes est la chambre basse du Parlement du Royaume-Uni. Elle est composée de 650 députés, et détient le pouvoir législatif et a le devoir de contrôler les agissements du gouvernement.
6PIB:
Le Produit Intérieur Brut est un indice d’évaluation de la richesse produite d’un pays annuellement. Exemple: le PIB annuel français est de 2.353.090 milliards d’euros.
7Espace Schengen :
L'espace Schengen comprend les territoires de 26 États européens à travers lesquels les citoyens des états membres sont libres de se déplacer et de travailler sans aucune procédure administrative particulière.
8Résident permanent (settled resident status):
Statut résidentiel mis en place par le gouvernement britannique. Il concerne les citoyens européens ayant passé plus de 5 années complètes et consécutives en Grande Bretagne, et leur accorde un droit de séjour de cinq ans (renouvelables).
9Pré-résident permanent (pre-settled status):
Statut résidentiel mis en place par le gouvernement britannique. Il concerne les citoyens européens vivant au moins six mois par an pendant cinq années consécutives, dans l’idée d’obtenir le statut de résident permanent
10OCCAR:
L'Organisation Conjointe de Coopération en Matière d'Armement est une organisation intergouvernementale européenne visant à faciliter la gestion en collaboration de grands programmes d'armement. Sont membres: la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et la Belgique.
11Pacte Nord Atlantique (OTAN):
Le Traité de l’Atlantique Nord ou traité de Washington est signé le 4 avril 1949 par douze pays occidentaux à la veille de la guerre froide. Les Etats-Unis d’Amérique y jouent un rôle de premier ordre. La France, le Royaume-Uni et la Turquie en font notamment partie.